Posté à 12h00
                Collaboration spéciale Chloé Bourquin             

Céréales, eau, levures et houblon. Les ingrédients de la recette de la bière semblent assez simples à première vue. « Mais pour qu’elle ait le goût de la bière et qu’elle ait l’apparence de la bière, il faut que chaque ingrédient soit soigneusement choisi », explique Mario Jolicoeur, professeur au département de génie chimique de Polytechnique Montréal, qui y enseigne un cours d’ingénierie et qui brasse depuis près de 10 ans. PHOTO PAR MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE Mario Jolicoeur, professeur au département de génie chimique de Polytechnique Montréal, cultive principalement des plants de houblon. Par exemple, l’eau contient certains minéraux qui affectent les réactions chimiques qui ont lieu pendant le brassage. Il existe également une grande variété de grains utilisables (orge, blé, avoine, etc.) dont la germination est stoppée plus ou moins tôt, pour donner différents malts. “On peut jouer avec l’humidité et la température de séchage du malt pour passer d’un grain très pâle à un grain torréfié, avec des nuances de chocolat, de brun…”, illustre Mario Jolicoeur. Dans un stout, avec seulement 5% de grains très foncés, on obtient une bière brune. En mélangeant différents malts, nous construisons la couleur et le goût de la bière que nous allons obtenir. Mario Jolicoeur, professeur au département de génie chimique de Polytechnique Montréal PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE De toutes les couleurs et de tous les goûts Et le houblon ? “On l’ajoute en début ou en fin d’ébullition pour jouer sur l’amertume, mais aussi pour donner un caractère floral ou herbacé. De cette façon, les propriétés de la bière se construisent en ajoutant des saveurs », explique le professeur. Nécessaires à la fermentation, les levures permettent également de développer des arômes particuliers. « Nous pouvons utiliser de nombreuses levures et même certaines bactéries pour produire de l’acide lactique et acidifier la bière. c’est particulièrement vrai pour les bières acides », explique Mario Jolicœur. PHOTO PAR MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE plante de houblon

Contrôle de qualité strict

Une fois les ingrédients choisis, nous entrons dans le vif du sujet : le brassage. Ensuite, il s’agit de procéder avec rigueur. « Une petite erreur au début du processus peut entraîner une très grande déviation de goût à la fin », souligne Mario Jolicoeur. Pour éviter une telle situation, “on contrôle la température et la durée de chaque étape, ainsi que l’acidité et la densité du liquide, afin de prédire précisément quel sera le pourcentage d’alcool final”, explique le chercheur Mike Doucette. au Réseau de recherche appliquée et d’innovation du Collège communautaire du Nouveau-Brunswick. Certaines microbrasseries font appel à des laboratoires externes, comme celui de Mike Doucette, pour les accompagner dans la création d’une nouvelle recette ou l’adoption de bonnes pratiques. D’autres ont choisi de pousser l’aspect scientifique plus loin : la microbrasserie Grimross, fondée au Nouveau-Brunswick, a par exemple installé un laboratoire dans ses locaux pour tester chaque semaine des échantillons de bière qui y sont produits. PHOTO FOURNIE PAR ASHLEY WALSH Devin Kearney, technicien en contrôle qualité, dans son laboratoire « Nous vérifions le taux d’alcool, les niveaux de carbonatation et d’oxygène, l’amertume, la couleur, la clarté… » énumère Devin Kearney, technicien contrôle qualité chez Grimross. « Nous voulons nous assurer que les clients vivent la même expérience chaque fois qu’ils ouvrent une de nos bières. »

Les microbrasseries québécoises en chiffres

302 entreprises brassicoles établies au Québec en mai 2022 57% d’entre eux ont été créés entre 2015 et 2022 34% d’entre eux se trouvent dans des villes de moins de 10 000 habitants

Source : Association des microbrasseries du Québec

Un terrain de jeu scientifique et savoureux

Il est également possible de jouer avec toute cette science sous-jacente pour innover et explorer de nouvelles palettes de saveurs. « Dans les petites brasseries artisanales, on essaie de surprendre le consommateur. Les chimistes essaient alors d’identifier quel composé est responsable de tel ou tel arôme et conseillent aux brasseurs d’inventer sans cesse de nouvelles recettes », explique le professeur Dale Wood. Ce dernier a créé un certificat en sciences brassicoles à l’Université Bishop’s de Sherbrooke pour former chaque année douze étudiants aux ingrédients, procédés et méthodes d’analyse propres au brassage de la bière. PHOTO AVEC L’AUTORISATION DE DALE WOOD Brassage de bière « Lorsque vous utilisez les bons ingrédients et que vous le faites correctement, il est difficile de rater une bière. Si une bière n’est pas mauvaise, elle trouvera son public, car il y a toujours des gens qui aiment les bières qui ne sont pas ordinaires, qu’elles soient trop amères, ou trop florales, voire insipides. rien du tout », sourit Mario Jolicoeur.

Vers une bière 100% locale ?

Les chercheurs aident également les brasseurs à remplacer certains ingrédients importés de l’Ouest par du malt ou du houblon cultivés au Québec pour s’orienter vers une bière 100 % locale. OFFRE PHOTO DE FULLHOUSE Mike Doucette La bière est un produit assez unique car vous pouvez trouver tous les ingrédients dont vous avez besoin ici. Et une bière faite avec des ingrédients locaux ne peut pas être reproduite ailleurs. Mike Doucette, chercheur du Réseau de recherche appliquée et d’innovation du Collège communautaire du Nouveau-Brunswick De plus en plus, les producteurs québécois travaillent avec des scientifiques pour répondre aux besoins des brasseries. « Nous n’avons pas le même climat ou le même type de sol au Québec que sur la côte Ouest, donc le houblon, par exemple, pourrait avoir un goût différent s’il est cultivé ici », explique Dale Wood. « Nous pouvons ensuite effectuer des analyses et conseiller les producteurs sur les minéraux à ajouter à leur sol. » Chaque microbrasserie possède ses propres recettes, savoir-faire et ingrédients (locaux ou importés), ce qui explique la grande variété de bières québécoises. « J’encourage souvent les gens à voyager au Québec et à se rendre dans les petites villes pour essayer les bières locales. Ici, vous trouverez des produits vraiment uniques et intéressants », explique le professeur.

La production d’orge et de houblon en chiffres

2,5 millions d’hectares

Zone de production d’orge dans l’Ouest canadien

46 500 hectares

Zone de production d’orge au Québec

230 tonnes

Production de houblon au Canada

De 65 à 80 tonnes

Production de houblon au Québec Source : Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec Chloé Bourquin, auteure de l’article et journaliste pigiste à La Presse, est étudiante au doctorat à Polytechnique Montréal. Il n’a aucune affiliation ou relation avec Mario Jolicoeur, professeur à Polytechnique Montréal mentionné dans cet article.